« Le modèle CUIB : un espace de consommation durable et un tiers-lieu
« Le modèle CUIB : un espace de consommation durable et un tiers-lieu
J’ai connu le C.U.I.B. (Centre Urbain de Initiatives Bonnes) peu après son ouverture, il y a une dizaine d’années, à Iasi (str. Gavriil Musicescu, 14). L’intention des membres de l’Association Mai bine était de lancer un bistrot à même d’offrir à leurs concitoyens le premier espace de « consommation durable » de la ville. Puis, année après année, j’ai assisté avec beaucoup de joie à la concrétisation de cette intention. Le CUIB s’est révélé un projet inspiré, viable et capable d’évoluer sur le long terme.
Au cours de sa décennie d’existence, le bistrot est devenu une référence non seulement au niveau local, pour les consommateurs de Iasi, mais aussi au niveau national pour tous les acteurs de l’économie écologique, sociale et solidaire. Comment le CUIB a-t-il réussi à perdurer, à se développer, à affirmer son identité et ses valeurs, à faire connaître les causes pour lesquelles il se bat ?
Je crois que le « modèle CUIB » fonctionne, évolue et se développe pour deux raisons. La première est que le bistrot parvient à avoir une offre de produits durables, authentique et cohérente. Il utilise des ingrédients locaux et de saison, élimine le gaspillage alimentaire, réduit les déchets et en particulier le plastique, répare et réutilise divers objets, soutient le commerce équitable, se soucie des conditions de travail – cette liste n’étant pas exhaustive.
La deuxième raison est d’ordre relationnel, la voici : le CUIB a réussi à se développer comme un véritable « tiers-lieu » ! Le Bistro a su attirer une communauté de clients réguliers qui franchissent ses portes pour consommer durable, bien sûr, mais aussi pour converser, s’exprimer librement, échanger leurs idées dans un cadre convivial. Le « modèle CUIB » consiste dans le fait que le bistro offre à ses clients non seulement un espace de consommation durable, mais aussi un lieu de sociabilité ouverte et informelle. Dans le « monde CUIB », des conversations se nouent, des relations sociales se tissent. Celles-ci sont aussi importantes pour les clients que les plats délicieux et durables qui sortent de la cuisine.
Je suis d’avis que le développement d’un tiers-lieu attractif n’est pas moins difficile que la construction d’un espace de consommation durable. En effet, les tiers lieux sont des réalités relationnelles et, en tant que telles, ont des modes de fonctionnement complexes. Chaque tiers-lieu exige de ceux qui le gèrent un savoir-faire relationnel particulier, je dirais même un certain « art » de faciliter les liens sociaux.
Voyons quelques traits du savoir-faire que l’on retrouve chez Anca, Andreea, Cristina, Elvis… c’est-à-dire chez l’équipe qui gère le CUIB !
L’équipe du CUIB a réussi à développer un lieu qui affirme avec clarté ses principes, mais qui ne les impose pas. Les clients du bistrot n’y reçoivent pas des « leçons » sur la soutenabilité. Oui, la soutenabilité est la valeur fondamentale du lieu, mais vous ne la ressentirez pas comme une obligation. Le bistrot voua propose son « éthique », donc implicitement certains choix et comportements, mais ceux-ci sont conçus de sorte qu’ils ne vous pèsent pas. Le CUIB a donc l’art de « se battre » avec beaucoup de conviction pour la soutenabilité, mais aussi avec ouverture d’esprit, dans une atmosphère de convivialité.
L’équipe de CUIB sait comment « niveler » les relations. Les clients qui entrent au CUIB laissent leur « statut social » à la porte, ce qui leur permet de converser d’égal à égal, de tisser entre eux des liens authentiques. Des personnes avec position ou influence dans la société, une fois entrées dans le monde du CUIB, se mettent naturellement en relation avec les autres clients ou le personnel.
Même la relation « hôte-invité » n’est pas une relation conventionnelle, caractérisée par le formalisme. Lorsque vous y rencontrez Anca, Andreea, Cristina et Elvis, vous ne pensez pas qu’il s’agit des chefs, qui dirigent le bistro. Ils vous donnent plutôt l’impression de faire partie des clients, les « habitués » du bistrot.
Si vous me demandiez rapidement ce qu’est le CUIB, je vous répondrais un espace de consommation durable. Mais je sentirais alors le besoin d’ajouter que c’est également un espace de conversation, de mise en réseau, de liens humains. Comme dans n’importe quel autre bistrot, on vient au CUIB pour se parler, pour discuter des événements de la journée, pour débattre de certains sujets plus compliqués, parfois pour rire ensemble, parfois pour argumenter, voire pour se contredire sur certains sujets… Car le contexte verbal, relationnel et non formel du bistrot le transforme parfois dans une « arène » humaine.
L’équipe du CUIB sait faire preuve d’empathie avec tous ces personnes. Cela lui permet de gérer avec finesse la diversité des situations et des relations humaines qui caractérisent son tiers-lieux. Du fait qu’il s’agit d’un tiers-lieu, la complexité de la gestion du CUIB est sensiblement plus grande que celle d’un bistrot où le client entre pour consommer des boissons et des plats seul, en silence, les yeux rivés sur son verre et son assiette.
Enfin, l’équipe du CUIB est toujours prête à apprendre afin de mettre à jour ses compétences ou d’en acquérir de nouvelles, adaptées pour la gestion du tiers-lieu qu’elle a créé et gère. Ainsi, récemment, Andreea, Cristina et Anca ont systématiquement appliqué la méthode ’Appreciative Design for Climate Activism in Third Places’ (développée par REPER21, dans le cadre du projet Erasmus+ « Tiers Lieux climatiques ») dans le but de développer la capacité du CUIB à éduquer et à sensibiliser ses clients au changement climatique. A cette fin, l’équipe du CUIB a conçu et testé des initiatives expérimentales, « centrées sur l’humain », empathiques avec les personnes qui fréquentent le bistrot.
La première action est une invitation au jeu. D’une manière ludique, les clients du CUIB peuvent découvrir les liens entre, d’une part, leurs habitudes de consommation et, d’autre part, le changement climatique. En associant les cartes magnétiques affichant des images avec celles affichant les textes explicatifs, les clients comprennent l’impact positif qu’ils peuvent réaliser s’ils choisissent de réduire, de réutiliser et de recycler, s’ils font attention à leur consommation d’eau, s’ils appliquent des critères sains et responsables quand ils font leurs achats.
La deuxième action s’est matérialisée sur la clôture de la terrasse extérieure du CUIB, qui a été peinte pour représenter une série de bandes climatiques (climate stripes) représentant visuellement les écarts par rapport à la température annuelle moyenne en Roumanie de 1860 à 2022. Non seulement le résultat final, mais aussi le processus de peinture des bandes en différentes couleurs ont suscité la curiosité, la discussion et la prise de conscience du réchauffement climatique. Des interventions similaires, utilisant les bandes climatiques, ont également été réalisées par des activistes de Lupeni et d’Uricani (vallée de Jiu), membres de notre communauté, Climate Commons.
Photos @incuib.ro
Pour savoir davantage sur Cuib:
- Le «chantier» de l’approche appréciative - novembre 8, 2024
- « Le modèle CUIB : un espace de consommation durable et un tiers-lieu - novembre 6, 2024